Harcèlement! Mais qui va s’en occuper?

LA POLITIQUE ET SON RESPONSABLE

Afin de se conformer aux dispositions de la Loi concernant le harcèlement psychologique ou sexuel au travail, chaque employeur doit implanter sa propre politique. Pour cela, la CNESST propose des guides et des modèles pour la rédaction d’une politique interne. Ces guides permettent aussi d’organiser les actions préventives et correctives dans le milieu du travail.

Parmi ces actions, il est attendu qu’une entreprise désigne dans sa politique une personne responsable de son application. Une des fonctions principales du responsable est la prise des décisions à la suite de la réception d’une plainte. Certains employeurs désignent deux responsables ou plus dans leur politique. Dans leurs fonctions, ces responsables assument généralement les tâches de recommandation des interventions, la désignation d’un enquêteur et toute autre action corrective pouvant faire cesser le harcèlement et le prévenir.

PRÉVENIR LE HARCÈLEMENT ET INTERVENIR [1]

Les employeurs doivent prendre les moyens raisonnables pour prévenir le harcèlement psychologique et le faire cesser lorsqu’une situation est portée à leur attention (…).

Les employeurs ont l’obligation de mettre en place une politique de prévention du harcèlement psychologique ou sexuel et de traitement des plaintes (…).

En théorie, les dirigeants d’une entreprise, sa politique contre le harcèlement et ses responsables désignés sont organisés et outillés pour intervenir lorsqu’une situation de harcèlement est signalée.

Mais en pratique et face à une plainte officielle, des questions cruciales sont soulevées :

  • Comment doit-on intervenir?
  • Qui assumera le leadership dans ce dossier? 
  • Qui prendra les décisions à chaque étape?
  • Et quelles seront les obstacles à surmonter?

La CNESST propose de nombreux exemples de rôles et de responsabilité pour la personne désignée à l’application de la politique. Toutefois, il est naturel pour les PME d’opter pour un texte simple et allégé pour leur politique. Souvent, les détails et l’étendue des rôles du responsable désigné n’y sont pas énuméré. Cette caractéristique permet lors d’un signalement d’intervenir avec une très large marge de manœuvre. En conséquence, la planification et l’organisation d’une intervention exigera une grande préparation à chaque nouvelle plainte.

PERSONNE RESPONSABLE DE L’APPLICATION DE LA POLITIQUE [2]

  • Décider, à la suite d’une plainte ou d’un signalement, des interventions à réaliser, ou recommander de telles interventions ;
  • Désigner la personne qui intervient comme médiatrice ou enquêteuse.

DIRIGEANTS ET DÉCIDEURS

Dès le signalement d’un cas de harcèlement, beaucoup de questions sont posées et les réponses sont rarement évidentes. Or, chaque cas est unique. Pour cela, il n’est pas possible de prévoir toutes les éventualités et toutes les solutions. Pourtant, des obstacles et des difficultés similaires compliquent inévitablement le traitement de la plainte. Dans cet article, nous décrivons certaines de ces complications auxquelles font face les membres d’une entreprise qui essayent d’intervenir de leur mieux.

Il est important de rappeler qu’au Québec la majorité des organisations sont des PME dont la taille est inférieure à 200 employés. Pour cela et dans la suite de cet article, nous avons retenu l’exemple d’une entreprise qui emploie environ 100 personnes.

Généralement, une telle organisation peut avoir un à trois postes en gestion des ressources humaines et qui peut inclure, parfois, le traitement de la paie. On y trouve aussi les fonctions de directeur général, directeur des finances, directeur des opérations, directeur des services, directeur des ventes/marketing, etc. Peu importe les titres et le nombre de cadres, ces fonctions font partie de l’organigramme de base d’une entreprise de 100 employés. Chacun des dirigeants de l’entreprise a un rôle clés comme décideur dans la gestion de l’organisation. Mais comment vont-ils agir dans une situation de harcèlement?

–       Ont-ils un rôle à jouer lors du traitement d’une plainte?

–       Sont-ils responsables désignés dans la politique contre le harcèlement?

–       Sont-ils des gestionnaires expérimentés ou formés pour intervenir?

Même lorsque la participation d’un dirigeant n’est pas prévue dans la politique, il va vraisemblablement participer au processus d’intervention. Puisqu’il assume un rôle de décideur, il est habitué à influencer au quotidien. Pour cela, il prendra part au processus lorsque son intérêt et ses responsabilités sont en jeux, directement ou indirectement.

SCÉNARIO FICTIF

Dans le scénario fictif suivant, nous décrivons les interactions potentielles des décideurs entre eux et avec les responsables désignés. Le but de cet exemple est de présenter les défis récurrents auxquels sont confrontés les gestionnaires et les responsables désignés. Même pour des questions simples dont les réponses semblent évidentes, les gestionnaires sont confrontés à des défis majeurs de « décider ».

Le contexte du scénario est limité à la 1ère étape d’une intervention, soit la PLANIFICATION et l’ORGANISATION à la suite du dépôt d’une plainte de harcèlement.

 

~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ Début du scénario ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ 

 

RÉCEPTION DE LA PLAINTE

Un employé syndiqué remet une lettre au coordonnateur RH intitulée « plainte pour harcèlement ». En bas de la lettre, il est indiqué qu’une copie a été remise au Syndicat. L’employé accusé occupe le poste de représentant aux ventes. Le coordonnateur RH est un des deux responsables désignées dans la politique contre le harcèlement. Le second responsable est la directrice RH. Le plaignant est un journalier aux opérations.

Sans tarder, le coordonnateur et la directrice RH s’entretiennent seuls sur la marche à suivre. Ils se questionnent puis décident des actions à prendre immédiatement :

Q-1 : Le plaignant et l’accusé travaillent dans deux départements distincts. Avons-nous besoin de les distancer physiquement l’un de l’autre?

Décision-1 : Oui, leurs postes de travail sont proches. Et ils risquent de se croiser plusieurs fois par jour dans les corridors, la cafétéria, les toilettes et ailleurs.

Q-2 : De quelle façon les distancer sans perturber le travail de chacun?

Décision-2 : Plusieurs possibilités sont envisageables. Nous devons impliquer leurs directeurs respectifs dans cette décision.

Q-3 : Les collègues poseront assurément des questions sur les changements d’horaire ou de poste. Et les délégués syndicaux nous questionnerons au sujet de la plainte. Qu’allons-nous répondre?

Décision-3 : Nous allons consulter le directeur général et les deux directeurs impliqués au sujet du message à communiquer au personnel et au syndicat.

Q-4 : Notre politique n’indique pas la personne qui effectuera l’enquête. Est-il préférable de la faire à l’interne ou à l’externe? Et par qui?

Décision-4 : Le coordonnateur RH étant occupé par une campagne de recrutement, il refuse de faire l’enquête. La directrice RH est dans une négociation de convention collective. Elle ne désire pas avoir le rôle d’enquêteuse dans cette période critique. Ainsi, leur position est de mandater un enquêteur externe. Pour une telle décision, l’approbation du directeur général est nécessaire.

PLANIFICATION DE L’INTERVENTION

Quelques minutes suivant leur entretien, les deux « responsables désignés », soient le coordonnateur RH et la DRH, communiquent leurs décisions aux personnes citées précédemment. C’est le début de la planification de l’intervention.

 

1-        La distanciation

Le coordonnateur RH rencontre le directeur des opérations (superviseur du plaignant) et le directeur des ventes (superviseur de la personne accusée du harcèlement). Une fois la situation expliquée, les trois échangent sur la manière d’éloigner physiquement les deux employés. Cette distanciation sera pour la durée du traitement de la plainte. Ce temps est estimé à deux semaines. Mais la date exacte d’un retour à la normal reste indéterminé.

Le plaignant est un journalier à temps plein sur le quart du jour. Pour cela, son directeur insiste sur son maintien physique à son poste. De son côté, le directeur des ventes propose un télétravail de 4 jours par semaine pour son représentant, soit l’employé accusé. Ce dernier effectue des visites hebdomadaires à des clients et à des futurs clients. Ces visites sont cruciales pour les commandes « sur mesures » qui sont très lucratives.

DÉFI : Parmi les gestionnaires, qui décidera de la mesure finale de distanciation?

RÉPONSE : Comme les directeurs impliqués n’arrivent pas à un consensus. Étant leur supérieur hiérarchique, le DG va avoir à prendre cette décision. Il pourra, par exemple, exiger le télétravail à 100% au représentant. Ensuite, il laissera au directeur des ventes la responsabilité des visites aux clients.

2-        Le message

La DRH contacte le directeur général et l’informe de la plainte et des actions en cours. Elle lui propose deux communications à effectuer avant la fin de la journée. Pour la première, la DRH contactera le président du syndicat pour lui expliquer de vive voix les démarches et pour lui demander sa collaboration durant l’enquête. La 2nde sera un bref discours du directeur des ventes à son personnel les rassurant et les appelant à la discrétion. Comme il est inévitable qu’une rumeur se propage dans l’entreprise, il sera proactif de transmettre à l’équipe une explication du télétravail de leur collègue. Le DG affirme être en accord avec les propositions de la DRH. Cependant, il souhaite s’assurer de l’adhésion des deux directeurs concernés avant de donner son approbation.

Ainsi, les deux directeurs sont convoqués au bureau du DG et participent à la suite de la discussion. Le directeur des opérations affirme ne pas avoir besoin de faire part de la situation à son personnel. Par ailleurs, le directeur des ventes déclare ne pas croire aux allégations de harcèlement. Il est lié d’amitié avec l’employé accusé et le juge au-delà de tout soupçon. Il est donc contre toute allocution à son équipe. De leur côté, le DG et la DRH croient à la nécessité de devancer les rumeurs et les interprétations éventuelles du personnel.

DÉFI : Qui, parmi les gestionnaires décidera des messages et des messagers?

RÉPONSE : Comme le DG fait face à deux positions contradictoires avec la sienne, c’est à lui de trancher. Par exemple, il pourra décider de reporter le message dans le département des opérations pour les prochains jours, en espérant qu’il n’y aura pas de rumeurs. Cependant, il pourra ordonner au directeur des opérations de transmettre un message explicatif à son équipe au sujet du télétravail de l’accusé (sans divulguer l’existence d’une plaine).

 

3-        Enquête interne ou externe

Étant les quatre au bureau du DG, la DRH soulève la question de l’enquête. Elle explique sa position et celle du coordonnateur RH de s’abstenir d’effectuer l’enquête par l’un d’eux. Elle affirme que son coordonnateur prendra du retard sur les cibles d’embauche s’il est libéré pour enquêter. Elle ajoute que sa propre implication comme enquêtrice interne pourra miner la confiance qui règne à la table des négociations.

Ses trois interlocuteurs lui répliquent avec trois positions divergentes :

  • Le directeur des ventes ne fait pas confiance à une personne à l’externe. Et il trouve le coordonnateur RH peu expérimenté. Il insiste que l’enquête soit pilotée par la DRH.
  • Le directeur des opérations est d’avis de ne pas impliquer la DRH, puisque la négociation semble avancée et le climat général est positif. De plus, il croit qu’un mandat à l’externe créera une rogne chez ses employés syndiqués. Donc, il préfère une enquête interne menée par le coordonnateur RH et qui est estimé intègre et équitable par la majorité du personnel.
  • Le DG exprime sa compréhension aux arguments de chacun. Alors, il se demande s’il existe une personne à l’interne (autres que la DRH et le coordonnateur RH) pouvant mener une telle enquête.
  • La DRH insiste à ne pas effectuer l’enquête à l’interne. Elle ajoute qu’il n’existe pas dans l’entreprise une personne formée pour cette tâche complexe.

DÉFI : Qui décidera si l’enquête sera effectuée à l’interne ou à l’externe? Et Par qui?

RÉPONSE : Sachant que ses directeurs ne trouvent pas d’orientation commune, la décision lui revient. Il pourra, par exemple, remettre ce défi à la DRH et lui donner le pouvoir de choisir l’option qu’elle jugera la plus appropriée dans les circonstances. Dans ce cas, le DG décidera que c’est la DRH qui prendra la décision!

 

~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ Fin du scénario ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ 

 

CONCLUSION

Dans ce scénario fictif d’une plainte de harcèlement, la complexité d’organiser une intervention se dévoile dès les premiers instants. Les difficultés dans la prise de décision sont des conséquences naturelles à cette complexité. Et même avec la meilleure préparation, chaque cas est unique et il va nécessiter une intervention unique. Pourtant, certaines entreprises de grande taille peuvent opter pour une politique qui détaille toutes les étapes d’une intervention contre le harcèlement. Si une telle planification déjà prévue permet la progression des démarches de traitement et de correction dans certains milieux de travail, ce n’est pas une recette pour d’autres types d’entreprises.

Or dans une entreprise de 200 employés ou moins, la disponibilité d’un salarié formé, compétent et expérimenté n’est pas garantie. Alors faut-il avoir une telle expertise à l’interne? Ce n’est pas toujours nécessaire lorsque le risque de harcèlement est, par exemple, de 1% par année. Ceci ne doit pas décourager les dirigeant à mettre des efforts sérieux dans la prévention et la formation du personnel. En outre, l’employeur doit toujours envisager une capacité réelle de faire cesser des gestes de harcèlement lorsqu’ils se manifestent.

Pour cela, une politique contre le harcèlement peut être conforme aux modèles de la CNESST et se limiter aux éléments essentiels. Dans ce cas, les responsables désignés et les dirigeants jouirons d’une flexibilité très large lors de chaque intervention. En contrepartie, cette flexibilité entrainera à chaque fois des questionnements, des implications et des décisions qui alourdiront le processus.

Dans tous les cas, les obligations de l’employeur sont les mêmes : prévenir et faire cesser le harcèlement. Et ce sont les dirigeants d’une entreprise, désignés ou non, qui en assument la responsabilité!

[1] Extrait du document GUIDE POUR L’ÉLABORATION D’UNE POLITIQUE de prévention du harcèlement psychologique ou sexuel au travail et de traitement des plaintes, (www.cnesst.gouv.qc.ca).

[2] Extrait du document GUIDE POUR L’ÉLABORATION D’UNE POLITIQUE de prévention du harcèlement psychologique ou sexuel au travail et de traitement des plaintes, (www.cnesst.gouv.qc.ca)